L'archipel démultiplié

Archipel


@Malani


Ainsi font-elles

quand pousse le courant

pour franchir la barre
elles tendent l'oreille aux clameurs
des hauts fonds
qui prennent à témoin l'oiseau
précurseur du naufrage

dans le tumulte
elles cheminent au-dessus
des tombants
à l'endroit du grand large
clignant
des yeux aux cahots du ressac

jonchées de lames et de récifs
leurs nuits sont harassantes
quand revient
l'aube
incertaines
elles égrennent à la crête des vagues
les plus hautes
comme du sommet d'un morne
dans l'offrande du sacrifice
un chapelet de pierres
billes de cristal
et baies d'olives
d'un or très pur qui tombent
de leurs doigts
au crépuscule
comme chaque fois
tous les ans
comme en toute saison
le jour
d'après le dernier cataclysme

l'on dirait
des gisants dans un lit de douleur
tenant registre
à ciel ouvert
des marais
des prés
des forêts dévastées

Ainsi font-elles
allégeance aux quatre points cardinaux
signes de piste
innombrables
en deuil de ceux qui périrent
impitoyables
les dieux sauvages qu'elles honorent
fustigent
pétitents dont l'âme n'a pas
guéré

hommes d'un coeur pur
qui firent la guerre sans offenser
la loi morale

Blanche est la fée
Caridad a la peau noire d'un grain
si doux
Espérance sourit tristement
deux hippocampes
d'airain
la crinière en feu
brandissent
leur blason
rameaux frémissants
d'une savane arbustive
des silhouettes
familières
se pressaient dans le lit du
ruisseau asséché

elles avançaient les yeux baissés
comme des migrants qui chassés
du gîte
de la nuit
reprennent au petit jour
harassés
la divagation

des courants chauds
que suivent les anguilles
dans la mer des Sargasses.


Extrait du recueil La Lyre et l'Archet, Editions Ibis Rouge, Guyane, 2001
copyright@Roger Toumson